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Remarquables #16 Luli & Arnaud 1/2

Luli Rodriguez Gugliotta
& Arnaud Rouer

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Portrait /

Si chaque auteur griffonne le papier jusqu’à dompter les personnages qui obnubilent ses pensées pour les enfermer dans un manuscrit, je poursuis encore la quête d’une fresque familiale, théâtre d’une histoire d’amour intense et délicate. Des amoureux chimériques qui me font frissonner quand je les vois danser en rêve, que je les invente sur des lignes encore trop bancales pour être réalistes. Mais ce matin-là, en arpentant la descente de la Butte qui serpente jusqu’au boulevard de Clichy, j’en étais convaincue. Je les avais rencontrés les héros de cette saga que je tisse, défais et remets sur l’ouvrage inlassablement. Ils étaient là, et m’avaient offert de pouvoir les observer à leur insu dans la valse magnifique de leur vie de couple et d’entrepreneurs. Chaloupant du canapé au berceau de leur fille, me racontant leur épopée entrepreneuriale à l’unisson, se corrigeant, revenant en arrière, s’assurant que je ne perdais pas le fil du récit. Luli et Arnaud,  amoureux et heureux de voir croître Laïta, le fruit de leur duo. Une marque de haute-maroquinerie franco-argentine engagée pour la préservation de l’artisanat argentin. Et pourtant qui pouvait prédire que Luli, argentine et férue de mode, fonderait avec un français – qui lui se rêvait brûlant les planches - une marque de maroquinerie mixant le savoir-faire maroquinier français et les tissus traditionnels argentins ?

Chassé-croisé

Grandissant chacun sur une rive de l’Atlantique, ces deux herbes folles partageaient un point commun, celui de ne pas vouloir se plier au parcours classique auquel on voulait les destiner.

A Buenos Aires, Luli se heurte aux projections de ses parents et de ses professeurs qui la verraient bien étudier le droit, l’économie ou le marketing. Tenant bon, elle entre à la Universidad de Buenos Aires : « Le meilleur endroit pour étudier la mode » En première année tous les étudiants se forment à l’architecture « mère du design » selon Luli. Brûlante d’envie de créer, Luli n’attend pas d’être diplômée et s’initie dès la 2ème année à la maroquinerie en créant une première ligne de sacs à main avec des copains de fac « une ligne de sacs unisexes en forme de tube, déclinés dans plusieurs tissus ». Cet univers, Luli s’y adonne toute entière pour ne plus lui tourner le dos. Elle intègre ainsi un atelier de maroquinerie aussitôt après ses études, qu’elle quittera pour une toute autre aventure, la France :

« Je voulais absolument apprendre une nouvelle langue et je savais que c’était le bon moment. Je parlais déjà l’anglais, donc je choisis le français et m’envole pour Paris. »

Paris qu’Arnaud quitte pour Londres où une acide expérience en financement de projets lui ouvrira les yeux « Je fais une deuxième crise d’ado, abandonne mes projets pour le théâtre. Je rencontre très vite les bonnes personnes et me fixe comme objectif de passer les concours des grandes écoles d’art dramatiques de Londres. » Un an de cours intensifs et de débrouille, Arnaud s’improvise coach sportif et jardinier pour payer ses cours.

A Paris, Luli affine ses appétences. Et si elle commence par un stage dans le stylisme photo puis plusieurs mois en tant que designer textile chez Malhia Kent, quand une amie lui susurre que Boudoir des Lubies, une marque de maroquinerie, recrute, elle postule aussitôt et intègre l’équipe. Pendant plus d’un an du dessin à la production, Luli suit le processus de création des collections pourtant elle n’est pas pleinement satisfaite :

« Je savais que je voulais créer ma marque de maroquinerie, mais je savais aussi que j’avais besoin d’aide. Qu’en tant qu’argentine en France, je n’aurais pas su comment faire ».

Enlacés

Fendant la Manche pour regagner Paris où il souhaite poursuivre sa carrière de comédien au cinéma, Arnaud, ignore qu’il est à l’aune de rencontrer la femme qui bouleversera sa vie. C’est la maison de famille d’Arnaud, nichée le Berry qui verra éclore leur amour et où ils aimeront à venir se réfugier quelques mois plus tard à la recherche des meilleurs artisans maroquinier et même encore aujourd’hui pour s’échapper du tumulte parisien et s’offrir une pause, même studieuse, en travaillant à Laïta.

Or donc, arrive ce jour où Luli et Arnaud, décident de fonder Laïta. C’est Luli qui baptise sa marque en hommage à sa grand-mère Laïta, « Une femme très élégante qui m’a donné l’envie d’être styliste ». La présence d’Arnaud dans le projet n’était pas une évidence « Au départ, je n’étais là que pour aider Luli à lancer son projet puis assez vite on se rend compte qu’on fait la paire et que cette marque on va la créer ensemble. ». Encore fallait-il insuffler du caractère aux prémices de Laïta : « On avait envie de raconter une histoire, notre histoire, sans délire égocentrique mais un mix de nos deux cultures. Première impasse : on ne sait pas du tout sous quelle forme réaliser ce pont entre la France et l’Argentine ! Et pourtant travailler à cela reste un de mes meilleurs souvenirs de Laïta », sourit Arnaud.

De ses carnets de croquis, Luli fait jaillir deux modèles assez précis qu’elle avait en tête, et pour la façon, le duo ambitionne le meilleur du savoir-faire maroquinier français. Une chose est d’en maîtriser les codes, le langage, une autre est d’y pénétrer et de réussir à faire faire des prototypes pour une marque balbutiante. C’est Arnaud qui se charge de contacter les ateliers et d’essuyer refus sur refus : « Tous avaient des carnets de commandes remplis, personne ne savait qui nous étions, et pourtant je réussis à obtenir 10 rendez-vous dans des ateliers éparpillés partout en France. » Luli et Arnaud s’enfuient alors de Paris pour établir leur bastion dans le Berry, d’où ils rayonnent pour honorer leurs rendez-vous.

« Nous étions pleins de rêves et n’avions pas encore de soucis en tête, nous étions plein de naïveté je crois »,

me jette Arnaud en cherchant l’approbation dans le regard de Luli. Ils seront éprouvés pendant ces deux semaines de prospection. Aucune poignée de main ne viendra sceller d’accords, alors ils se mettent à douter. Jusqu’à leur rencontre avec Franck, maroquinier de haute-façon qui confectionne des pièces extraordinaires pour Jaguar et Weston, entre autres. « Je me souviens encore de cette route à travers la Haute-Vienne, nous roulions avec une super musique, admirions le paysage, une succession de lacs, il y avait une lumière de dingue et puis au milieu de la forêt, nous atteignons une clairière et là, Franck nous accueille avec son regard scintillant ».

A les écouter, j’ai l’impression d’être derrière eux ce jour juin, lorsque de leur discussion avec Franck ils parachèveront la création de Laïta. Produire les pièces de Luli au sein de son atelier, Franck le peut mais alors Laïta se hisserait au rang des maroquiniers de luxe, induisant des coûts de fabrication et un prix de vente qu’ils jugent – à cette époque - excessifs, ne se sentant pas légitimes de placer Laïta en concurrence avec Hermès ou Chanel. Mais si le savoir-faire maroquinier de Franck était transféré à un atelier argentin ? L’Argentine où Luli sourcerait la matière première et les tissus traditionnels anciens à intégrer dans le design de ses sacs. Laïta venait de trouver sa raison d’être.

Comment Laïta s’éveillera et s’épanouira en se targuant d’un honorable dessein : celui de préserver et perdurer l’artisanat traditionnel argentin en le mariant à l’excellence du savoir-faire maroquinier français ? La suite de la saga de Laïta à lire ici